"Sur le i de Couffi"

[Philoo]

    Le cerveau est bizarre, la mémoire surtout.

    Il y a des phrases qui ne servent à rien dont on se rappelle toute sa vie et plein d'autres qui servent énormément et qu'on a du mal à retrouver.

    "Sur le i de Couffi".

    J'étais gamin et c'était lors d'un stage d'été où le G.R.A.L. avait migré sur le terrain d'Orléans - Saint-Denis-de-l'Hôtel.

    Papa s'était vaché, ça arrivait rarement mais je ne cache pas que j'aimais ça.

    J'aimais bien participer à l'expédition qui consistait à aller retrouver un planeur et son pilote perdus en pleine campagne à des dizaines, voire des centaines de kilomètres, avec pour seule indication quelques mots griffonnés sur un bout de papier.

    A l'époque, point de G.P.S., le seul outil pour naviguer sur la route comme dans les airs c'était la carte Michelin 1/200 000ème.

    C'est jaune vif, on ne voit que ça dans tous les documents qui traînent dans un planeur.

    Tous les pilotes avaient la même carte. Enfin, ils avaient celle de la région qu'ils étaient supposés survoler. Pour les vols de longue distance (ou si le terrain de départ avait la sournoise idée de se situer sur le mauvais bord) il fallait plusieurs cartes ou alors les 'grandes' cartes qui regroupaient plusieurs petites.

    Les cartes de pilotes avaient cela de particulier que tous les aérodromes étaient entourés d'un cercle de rayon de 5cm (10km) et de plusieurs cercles concentriques pour le terrain de départ et d'arrivée.

    Ça permettait de visualiser rapidement où se trouvait la piste accueillante la plus proche lorsque la météo commençait à faire mentir le prévisionniste enthousiaste du briefing du matin.

    Les cartes Michelin portent un numéro qui ne correspond à rien qui nous permette de les situer sur la carte de France mais on connaissait les numéros par cœur.

    La carte pour Boos et partir vers le sud? Bah, c'est la 55!

    Pour aller rechercher un planeur aux vaches, il fallait donc une indication précise qui permette aux dépanneurs, munis de la même carte que le pilote, de trouver le champ sans y passer des heures.

    J'allais oublier d'indiquer une chose qui a son importance: à l'époque le téléphone portable relevait de la science fiction ! Une fois sur la route, les dépanneurs n'avaient aucun moyen pour contacter le pilote.

    Donc, au téléphone, après avoir donné le nom de la ville la plus proche, Papa avait précisé : "Je suis posé sur le i de Couffi".

    Je ne me souviens plus avec précision qui faisait partie de l'expédition, je pense qu'il y avait Marcel et "Sieu-sieu" mais je peux me tromper.

    Par contre, je garde en mémoire une image intacte de ce dépannage: un petit pont.

    Tard dans la nuit, dans la lumière des phares, un petit pont qu'il avait fallu emprunter pour accéder au champ.

    Je me souviens aussi, le chemin faisant un angle droit avec le pont, il avait fallu dételer la remorque pour accéder et revenir du champ.

    Voilà, c'était il y a très longtemps...

 

 

    Il y a 10 ou 15 ans, avec les outils 'en ligne' qui facilitent maintenant notre existence, j'ai tenté de retrouver Couffi.

    J'ai tout essayé : MapBlast, Mappy, GoogleMaps, Viamichelin...: pas de Couffi !

    Ni de "Coufi", ni de "Coufffi", "Koufi", "Kouffi", "Couhfi"..., rien!

    Il y a un bien un "Koufi", mais c'est en Crète, j'aurais eu un autre souvenir du "petit pont".

    Le seul village avec un nom similaire dans la zone géographique considérée c'est Couffy, avec un "y".

    Avec un "y", l'expression "Sur le i de Couffi" perd toute sa valeur.

    Là où le point du "i" nous indique avec une précision de l'ordre du millimètre (mieux que n'importe quel G.P.S.) la position d'un planeur dans un champ, un "y" embrouillerait le plus ingénieux des scouts.

    C'est bizarre la mémoire, j'entends encore Papa, les jours suivant sa vache, raconter à qui veut l'entendre qu'il s'est posé "sur le i de Couffi".

    Bon, j'avais sans doute imaginé l'histoire du i, du pont, etc.

    Ou alors c'est le début de la sénilité, les cases mémoires se bloquent, se mélangent, il y a des fils qui se touchent dans le cerveau.

 

 

    Il y a 10 jours, je reçois un courriel de l'ami Jean-Pierre avec une photo de Papa prise lors d'un stage d'hiver à la Llagone. Curieux, je retourne voir dans son carnet de vol pour essayer de trouver des détails sur ce stage et les vols: planeurs, durées, date précise...

    Au hasard d'une page, crac!, à la fin d'une ligne d'un vol de 4h10 sur l'Asw15, dans la colonne observations, je lis: "St Denis->Montrichard->Couffi 117Km".

    Je ne suis pas sénile!

    Mais je ne peux pas dormir tant que je ne sais pas où est/était Couffi.

    Or donc, pendant un temps qui me parait interminable, je fais chauffer tous les moteurs de recherche qu'Internet puisse compter. La consommation d'électricité mondiale a connu un pic ce soir là mais la vérité a fini par tomber:

    d'après Wikipédia, "'Couffi' devient Couffy en 1998."

    Les fourbes!!! Changer le nom d'un patelin pour me faire tourner maboul! Il y a des coups de pied au cul qui se perdent.

    Ni une, ni deux, je mets tout en branle pour retrouver le morceau de papier plié en accordéon à la célèbre couverture jaune vif.

    On ne remerciera jamais assez les gens qui vendent de tout et n'importe quoi sur Internet, en particulier des cartes Michelin périmées depuis plusieurs dizaines d'années.

    Sur un célèbre site de petites annonces, "Louna" proposait une carte Michelin n°64 de 1981, comme neuve. Je l'ai reçue 3 jours plus tard (la carte, pas Louna).

    Évidemment, en 1981, Couffi avait la "bonne orthographe" :

    En cherchant sur les vues aériennes du site Géoportail, j'ai retrouvé un petit pont dont les coordonnées géographiques précises sont: "au pied du premier f de Couffi".

    En voici la photo:

    C'était le 14 août 1978, j'avais tout juste 11 ans.

 

    Vive le Vol à Voile, vive les vaches et vive les cartes Michelin !

   

    Philippe

    Ancien pilote au G.R.A.L., maintenant à l'A.C.E.S.

 

    P.S.: Le saviez-vous ? Le premier satellite de test du programme "G.P.S." a été lancé en 1978.

 

Modifié le 21 juillet par Philoo

[La Globule]

Extraordinaire récit , qui me rappelle bien des souvenirs, à la fois de vache perso , et de dépannages pour les copains !!!

Perso , j ai  encore , soigneusement rangée dans mes docs de vols, la carte Michelin 523 Rhône Alpes , peau de couillée, avec les cercles tracés; En vol elle me sert (quelque fois! ) pour nommer  tel sommet , ou tel hameau que je découvre , et que je détaille suite sur PC  ,puis pour les vaches c'est quand même  pratique pour donner des explications aux dépanneurs . Et la 1/200000 c'est pratique pour les calculs , il suffit de connaitre la table de "2"

Et en Corse, la meilleure solution pour les détails , c'est la : Michelin 90  a préparer pour le planeur .

Bref, je crois que je suis encore un vieux con , un peu boulet avec les GPS et mon Samsoul  !!!

Modifié le 22 juillet par La Globule
ajout corse

[vincent jouvet]

Merci pour ce récit très amusant et plein de vie 

Modifié le 22 juillet par vincent jouvet

[CHÉREAU P.]

+1

Modifié le 22 juillet par CHÉREAU P.

[Thierry]

Génial!

[Bre901]

Merci pour ces souvenirs, Philoo !

Dans mon sac VàV qui date de quand je volais encore à LFOR (au début du siècle), il y a encore des l'IGN 1/250000 dans des pochettes transparentes à rabats (3xA4, avec plein de cercles)  pour naviguer, car j'en avais pris l'habitude dans les Alpes  au millénaire précédent (le relief est meilleur), une carte aéro au 1/500000 aussi "peau de couillée" (merci pour l'expression !) et bien sûr les Michelin 1/200000, au cas où...

[Pilouch34]

J'adore.

PS: en 1983 ,je me vache dans Le Morvan,une vache difficile (sauter un pylône EDF relativement court derrière) qui se transforme en 

vache de château dans la ferme retapée ,par la grâce de ses occupants (et de la localisation de la zone nuit et de l'échelle posée sur la façade),

ET BIEN ,40 ans après impossible de retrouver ce champ sur les applications ,SANS DOUTE le renouvellement moléculaire intégral.

[JNV]

J'adore ce récit et cette quête, merci Philoo !